Allier : les divagations d’un saumon

Dans le saumon, tout est bon. Pour qui en douterait encore, divagations.

Qui se souvient des balades dominicales d’il y a vingt ans au bord de l’eau, le long des berges un peu froides de l’Allier ? De cette rivière aujourd’hui déserte, alors chargée de voix, de cris, toute bruissante de l’activité des pêcheurs, de la curiosité des passants. « Ils en ont pris un, ce matin, de l’autre côté, du côté des boires, y’paraît. Un grand, fallait voir ! Ils ont passé une demi-heure à le ramener ! » Un saumon bien évidemment.

Qui se souvient d’avoir vu les plus grands mâles s’élancer dans les eaux bouillonnantes du pont-barrage à Vichy ? Du monde qu’il y avait là à guetter les plus vaillants de ces poissons venus de Terre Neuve ?

Qui se rappelle du saumon qui n’entrait que difficilement dans le congélateur familial ?

Qui se souvient de ce que racontaient les anciens, de ces saumons qu’on pêchait à la fourche avant guerre ? De ce poisson que les ouvriers agricoles demandaient à ne pas manger plus de deux fois par semaine dans une clause de leur contrat d’embauche au ‘domaine’ ?

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La pêche au saumon fut interdite en 1994 sur la Loire et l’Allier. Depuis, une échelle à saumons a été construite à Vichy, entre autres. Et l’on réensemence la rivière en saumons dans le Haut-Allier, du côté de Chanteuges.

Cette année, leur saumon, les Bourbonnais l’ont acheté en tranches, pavés, filets ou barquettes sous cellophane dans leur grande surface préférée. Cette année, le saumon des fêtes est arrivé par bateau tout droit depuis les fermes piscicoles de Norvège.

 

Mais peu importe puisqu’elle fait ricaner cette question de la biodiversité dans les cercles autorisés.

Au saumon gratuit et surabondant fourni par la nature, a été substitué l’onéreuse production de masse du saumon industriel.

À la qualité du meilleur saumon sélectionné par la nature et les kilomètres parcourus, on a substitué les pathologies d’un poisson d’élevage nourri aux granules de poisson.

À un aliment local et non transformé, on a substitué un produit lointain, coûteux en pétrole, en carbone et en argent.

 

Le saumon gratuit, véritable bien commun, rendait un service que ne mesurait pas le PIB, puisqu’il était gratuit.

Le saumon détruit puis reproduit, devient bien d’échange, entre dans le calcul du PIB : ce sont autant de points de croissance et d’emplois en plus. Le saumon est détruit, peu importe, l’essentiel c’est qu’il soit à nouveau produit.

 

Saumon « Made in France »

La solution, entend-on, n’est pas qu’il revienne dans nos rivières mais qu’on en « rapatrie » la production, les points de PIB et les emplois, « Made in France » oblige.

Soit mais compétitivité oblige, face aux piscicultures étrangères et industrielles, il faudrait d’emblée investir sur des tonnages suffisants. Pour cela, le mieux serait encore d’élever le saumon à la tonne sur les rivages de l’Atlantique, dans des fermes climatisées, avant de le faire frayer en camion réfrigéré via les 2×2 voies de la RCEA  !

Et voilà, se dit le saumon, l’un dans l’autre, les arguments s’emboîtent…

Et si, par miracle, je pensais jamais à revenir frayer dans les sables de l’Alagnon, je ne pourrais le faire que dans trois cas de figure :

  • un prélèvement gratuit mais limité, contrôlé par les sociétés de pêche locales. Mais pas d’emplettes, pas d’emplois !
  • une exploitation de saumon « authentique » vendue à prix d’or en tant que produit de luxe sur le marché mondial. Quelques emplois à la clef et la création d’une marque, d’une image pour la région.
  • Ou bien une production locale destinée à une consommation locale et préservée de la concurrence internationale par un système d’échange local basé sur une monnaie locale ; système dans le cadre duquel la monnaie serait gagée sur une production de richesse locale, qu’il s’agisse de services (transports, personnes, traitement des déchets…), d’énergie (produite localement), d’alimentation ou de toute autre production locale…

Mais sans fond sont du saumon les divagations …


– EELV Pays de Vichy

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