L’oeil du cyclone est énergétique

Café – débat sur les défis agricole et alimentaire, forte mobilisation pour la chaîne humaine du 11 mars, présentation du scénario négaWatt 2011 par Thierry Salomon… EELV Pays de Vichy axe sa campagne locale pour les présidentielles sur les thèmes majeurs de l’énergie et de l’alimentation.

Bien au-delà des seules questions du nucléaire et de l’agriculture bio, énergie et alimentation sont au cœur de la crise actuelle ; tel est le diagnostic des écologistes. Et sans diagnostic fondé, pas de remède convenable. Explications.

 

Si l’écologie a disparu des radars d’une vaste campagne d’enfumage présidentiel, elle n’a pas quitté l’oeil de la crise que nous traversons depuis 2007 – 2008.

Telle est la spécificité écologiste, si difficile à exprimer et à faire entendre aujourd’hui, celle d’un diagnostic unique sur les raisons profondes de cette crise que l’on dit systémique : la crise de 2008 n’est pas financière ou strictement économique, mais fondamentalement énergétique et alimentaire… Et donc globalement énergétique puisque, dans les deux cas, il est question d’énergie : une fois pour les machines, une autre fois pour les humains.

L’enjeu essentiel des années à venir est l’enjeu énergétique. Autant y réfléchir un peu.

Une crise énergétique, comment cela ?

Celui qui l’explique le mieux n’est pas de ce siècle, mais du précédent. Jules Verne avait ce talent de l’écrivain sachant déceler les profondeurs d’un mécanisme en le livrant à son écriture.

Quand, dans Le Tour du monde en 80 jours, il fait le récit du retour de Phileas Fogg d’Amérique en Angleterre il intercale un épisode extrêmement marquant : au cours de la traversée, le charbon vient à manquer sur le navire ; afin de maintenir la vitesse du navire qui doit lui permettre de revenir à Londres dans le délais de son pari, Phileas Fogg a l’idée de génie de brûler toute l’armature en bois du navire, et donc de le démanteler en partie.

L’allégorie est parfaite : si l’on remplace le navire par l’économie productive mondiale, la vitesse de croisière du bâtiment, par la croissance de cette même économie, et le charbon qui s’épuise par les ressources fossiles sur lesquelles l’économie mondiale tourne depuis près de deux siècles, alors libre à nous d’interpréter et de commenter…

Lorsque les ressources énergétiques se font rares – parce qu’elles sont à la fois limitées dans leurs stocks et de plus en plus demandées -, les tentatives de maintien de la croissance économique impliquent le sacrifice des éléments et des structures sociales les moins « efficaces » économiquement et donc énergétiquement ; et ce sacrifice prend la forme de plans sociaux ou de plans d’austérité.

Comme dans un écosystème où les ressources en énergie sont limitées, ne « survivent » que les organismes les plus adaptés, ceux dotés du rendement énergétique le plus performant. L’ultralibéralisme économique dans un système « Terre » où le volume des énergies de stock [fossiles et fissile] est par définition limité fonctionne alors selon le principe darwinien de sélection naturelle.

 

Et de même qu’il semble difficile à Phileas Fogg d’accroître encore la vitesse du navire qu’il fait démanteler, il est aujourd’hui impossible – en dehors du cadre des économies émergentes [où l’utilisation d’énergie par personne est encore, en moyenne, relativement faible] – de renouer avec des taux de croissance du type 30 glorieuses.

Et quand bien même les retrouverait-on d’ailleurs, ils impliqueraient un tel prélèvement sur les stocks énergétiques qu’ils conduiraient fatalement à une crise et à sa suite de plans sociaux et d’austérité. Une croissance accrue n’est aujourd’hui plus la solution à la crise, aux crises, que nous traversons mais bien leur propre cause.

 

L’orchestre du Titanic

Cela étant, il reste possible de donner l’illusion de la vitesse – croissance alors même que celle-ci diminue inexorablement : c’est le syndrome du Titanic, celui de l’orchestre qui continue de jouer alors que le bâtiment sombre. Dans l’économie de ces trente dernières années, l’orchestre a pris la forme d’un trio infernal :

  • l’endettement ou pompe à crédit qui a débouché sur la crise des ‘subprimes’ de 2007 – 2008
  • la publicité et le matraquage médiatique
  • l’obsolescence programmée des nouveaux produits, censée maintenir la croissance dans une société développée aux besoins saturés [où l’assouvissement des besoins s’affronte au mur d’une énergie dont le stock est limité].

 

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 Que proposent les écologistes ?

1- D’arrêter l’orchestre sur le pont du Titanic : renoncer à l’illusion de l’endettement permanent. Les dettes ne s’accumulent qu’en proportion inverse de la productivité des économies (rapport de la production sur le nombre d’unités d’énergie). Une économie moins productive devra s’endetter auprès d’une économie plus productive qui lui fournira des biens jusqu’à ce que la hausse des prix de l’énergie (et par là de l’alimentation) empêche le remboursement prévu de la dette : s’enclenchent alors des plans d’austérité en série aboutissant à une réduction drastique de la quantité d’énergie consommée et donc à un partage sauvage de l’utilisation des stocks d’énergie disponibles. L’exemple de la Grèce qu’on accule à une diminution massive de son niveau de vie est à cet égard édifiant.

Les écologistes préconisent donc :

  • une gestion rigoureuse de l’endettement privé et public
  • un rééchelonnement de l’endettement actuel sur une durée très longue [ainsi que des défauts plus ou moins partiels] pour lever les contraintes d’une austérité injuste servant les intérêts d’un système économique qui, fondé sur la croissance de la production, a manifestement atteint ses limites. Or passer d’un système à un autre, c’est changer de système de valeurs et donc, cesser d’honorer certaines dettes. Par ailleurs, il n’est que deux autres façons de répondre à un endettement excessif : l’inflation ou la guerre. Nous choisissons le rééchelonnement.

2- De cesser de brûler le navire pour le faire avancer : l’intégrité du bâtiment importe plus que sa seule vitesse ; le bien-être collectif, actuel et futur, importe plus que la promesse de gains futurs sans cesse accrus. Il s’agit ici de rompre avec le mythe de la croissance productive pour tenter d’imaginer une autre prospérité que celle de l’accumulation productive. Si la croissance n’est plus possible ni souhaitable dans le monde actuel, vers quel modèle économique se tourner ? 

A côté de l’économie productive globalisée émergeront, dans les années à venir, deux autres ‘cercles’ économiques :

  • une économie productive locale tournée vers la satisfaction des besoins locaux en énergie et en alimentation principalement : des systèmes d’échanges locaux fondés sur des monnaies et des crédits locaux pourraient permettre de protéger ces biens de la concurrence mondiale.
  • Une économie sociale et solidaire orientée vers la fourniture de services que le marché ne rend pas ou rend mal, à tous points de vue : transports, tout type de services à la personne…

C’est à partir de ces cercles-là qu’émergeront les valeurs d’une économie non plus exclusivement productive.

 

 3- Mais fondamentalement, les écologistes se prononcent pour une transition énergétique menant nos économies des énergies de stock aux énergies de flux, c’est-à-dire renouvelables. Pour le clin d’oeil, nous aurions pu ajouter une voile au navire de Phileas Fogg ; mais la question va bien plus loin que ce à quoi le débat public nous ramène trop souvent : les éoliennes.

Il s’agit de sortir de cette économie du feu inventée au XIXème siècle pour faire reposer nos activités sur la seule énergie dont le système Terre dispose à l’infini, l’énergie solaire : sous forme de solaire thermique, photovoltaïque, d’éolien (via la météo), de biomasse (via la photosynthèse)…

Tout en recourant à la source d’énergie renouvelable la plus abondante, le négaWatt, toute cette énergie que l’on pourrait ne pas consommer en rompant avec le principe de gabegie gouvernant le système actuel : sobriété des usages, efficacité des procédés énergétiques (à commencer par les systèmes de production et l’isolation des bâtiments).

Et le nucléaire alors ? Thème historique et identitaire des écologistes, l’opposition à l’énergie nucléaire ne constitue pas la transition énergétique en soi, mais en incarne une conséquence directe et logique. Le nucléaire repose sur une énergie de stock, épuisable par définition (l’uranium ) ; la filière électro-nucléaire est une aberration en termes d’efficacité énergétique (seuls 33% de la chaleur produite par l’atome est convertie en électricité ; le reste est perdu dans la nature ; sans parler des pertes liées au transport) ; sa production massive de puissance électrique instantanée va directement à l’encontre de tout principe de sobriété : il faut des convecteurs et du chauffage électrique pour absorber toute l’électricité et la reconvertir en chaleur à l’autre bout de la chaîne. Cette pompe à électricité aberrante pompe trop en cas de pic de consommation : elle implique donc des émissions de gaz à effet de serre dans ce moments-là et enfonce les plus modestes dans la précarité énergétique.

Si à cela, nous rajoutons le coût qui va aller croissant, les risques incontrôlables et non assurables, plus les déchets laissés aux générations futures…, le choix d’une sortie progressive du nucléaire sur vingt ans paraît un choix raisonné.

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Le débat énergétique ne semble pas concerner l’affligeante campagne présidentielle que nous subissons. Il s’agit pourtant de la question essentielle des années à venir. Elle sous-tend tous nos débats économiques, sociétaux, politiques et stratégiques. La transition énergétique (et agricole, l’autre volet énergétique) prendra la forme d’une véritable révolution si elle est patiemment menée à son terme.

Nous continuerons donc à modestement porter ces questions dans le débat public.

 

– Eelv Pays de Vichy

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