LGV POCL, nos dettes, notre territoire (4)


La perte du triple A de la France nous le rappelle encore, la question de la dette s’est aujourd’hui installée au cœur des préoccupations publiques. Tant et si bien que l’évaluation de toute politique publique semble devoir s’opérer au trébuchet de son rapport à l’endettement. 

La cohérence voudrait donc que l’on s’efforce d’évaluer le projet de LGV POCL (Paris- Orléans – Clermont – Lyon) dans une perspective de limitation ou de réduction de nos dettes.

En quoi, le projet POCL contribue-t-il à limiter notre endettement, c’est-à-dire notre empreinte sur l’avenir ?

Alors que le débat public sur ce projet de LGV s’est refermé il y a quelques jours, EELV – Pays de Vichy lance une série de réflexions sur la question. Quatrième et dernier volet, la dette biologique et les déchets. 

 

Dette biologique : La question de la dette foncière nous a déjà permis d’aborder la question des coûts et de la dette biologique, notamment en ce qui concerne la dégradation des sols et la fragmentation des habitats naturels.

Confrontés à la sixième grande extinction du vivant sur Terre, nous nous rappelons soudain que nous appartenons à un écosystème dont l’affaiblissement, la perte de la diversité nous affaiblit directement.

L’évaluation du millénaire, après la conférence de Rio (1992) a attiré l’attention du monde sur le rapide déclin de la biodiversité. Ce déclin s’est encore accru de 2005 à 2008 selon le rapport de mi-étape d’une étude consacrée à l’économie des écosystèmes et de la biodiversité (voir The economics of biodiversity and ecosystems) qui conclut que, sans actions fortes, la perte associée de services écosystémiques s’accélérera. Ce qui menacerait les économies et sociétés humaines : l’économiste Pavan Sukhdev estime que la perte de biodiversité pourrait coûter 7 % du PIB mondial d’ici 2030.

 

La question est ici de savoir comment ouvrir une nouvelle LGV sans fractionner un peu plus des habitats naturels et des écosystèmes et les fragiliser un peu plus ?

À lui seul, le tracé ouest-sud de POCL traverserait la Sologne, la forêt de Tronçais, le bocage bourbonnais (moyennant tunnels et opérations lourdes de terrassement), la réserve naturelle du Val d’Allier, le vignoble de Saint-Pourçain, la Forterre et les terrains cristallins du pays de Lapalisse…

L’ensemble de ces atteintes ne sont aujourd’hui pas chiffrables ni chiffrées dans le cadre des projets d’infrastructure. Ici, même si nous ne disposons pas encore de tous les outils nous permettant d’évaluer le coût économique de l’érosion biologique, deux solutions sont envisageables pour en intégrer le coût à celui d’un projet d’infrastructure, et ainsi évaluer le poids de la dette laissée aux générations futures :

  • Imposer une taxation lourde au kilomètre ou à l’hectare de LGV coupant une trame de biodiversité ou un espace naturel sensible, taxation contributive reversée à un fond pour la biodiversité oeuvrant à la préservation, à la reconstitution des trames comme au soutien des projets respectant les impératifs de biodiversité.
  • Plus simple sans doute, il s’agirait de rendre opposables les trames vertes (espaces terrestres) et bleues (milieux aquatiques) de continuité des écosystèmes, telles que prévues par le Grenelle de l’environnement. Ce qui contraindrait forcément les tracés LGV à s’adapter, à envisager des détours à supprimer certaines options de parcours et par là, à faire évoluer les coûts totaux aujourd’hui envisagés.

À combien s’élèverait le coût total du tracé Ouest-sud de POCL si les trames vertes et bleues étaient rendues opposables ? Le projet serait-il encore financièrement pertinent et réaliste ?

 

Dette déchets : Les déchets dont nous ne maîtrisons ni la quantité ni les conséquences à moyen et long terme sont autant de dettes que nous laissons aux générations futures. Nous envisagerons surtout ici la question de la dette carbone ou CO2.

Certes, le train est le plus efficace des moyens de transport : 

– il constitue une excellente alternative à l’avion,

– il consomme 6 fois moins d’énergie par passager que l’automobile,

– il émet très peu de gaz à effet de serre et pollue très peu

– il consomme 5 fois moins d’espace que la route à trafic équivalent.

 

Mais cela n’est vrai qu’en cas de report conséquent de la route et de l’avion sur le rail. Or qu’en sera-t-il avec POCL? Si le projet de LGV POCL est vanté comme une excellente alternative à ces deux autres moyens de transport, prend-il place

– dans une politique globale de transport envisageant une politique effective de report d’un mode de transport vers un autre

– ou bien dans la perspective de leur simple concurrence, censée générer prix d’équilibre et croissance des trafics ?

La question est donc posée. Quant à la réponse, elle paraît encore incomplète.

  • Le projet POCL est souvent conçu, au niveau local, comme un projet de diffusion de la grande vitesse sur l’ensemble du territoire bourbonnais. Si Vichy se retrouve à moins de 1h30 de Paris, il faudrait, par exemple, que Gannat ne se retrouve pas à plus de 2h de la capitale, ce qui impliquerait la construction d’une 2×2 voies entre Vichy et Gannat, voire d’une rocade urbaine desservant la gare de Vichy et rejoignant la future A719 via un pont sur l’Allier réservé à cet effet…

Libre à nous d’imaginer les coûts carbone financier, foncier et biologique induits par une telle politique de transport et de développement locale.

 

  • Imaginons que POCL parvienne à concurrencer la route et l’avion, ce qu’elle ne manquera pas de faire dans une certaine mesure, elle laisse entière la question d’infrastructures routières la doublant (la RCEA, par exemple) : une LGV n’est en effet pas conçue pour le fret. Quelle alternative offre-t-elle donc au tout camion du transport français ?

L’argument avancé par les promoteurs de ce projet est celui de la libération des anciennes lignes (la ligne Paris – Clermont actuelle, par exemple) pour le fret. Or, on sait que les investissements massifs (cf le deuxième volet de cette série) dans la grande vitesse ne laissent aucune marge de manœuvre pour de bien moindres investissements, dans le fret ferroviaire notamment.

 

Quel paquet ferroviaire pour 14 milliards d’euros ?

Si l’un des objectifs avoués est de réduire la facture carbone de l’ensemble de notre système de transport et donc de favoriser un report modal massif vers le rail, pourquoi ne pas avancer, pour le même prix, le projet d’un paquet ferroviaire cumulant grande vitesse et fret ferroviaire ?

Les grandes lignes pourraient en être les suivantes :

  • Mise à niveau et amélioration des lignes existantes avec technologies adaptées pour une grande vitesse avoisinant les 250km.h : au-delà de ce seuil, tout gain de vitesse est annulé par la dépense supplémentaire en énergie et infrastructures.
  • Ouverture d’une ligne électrifiée Saint-Germain-des-Fossés /Lyon pour assurer une liaison ferroviaire Lyon/Clermont efficace.
  • Ouverture de le VFCEA (Voie ferrée Centre Europe Atlantique) pour un peu plus de 500 millions d’euros et réhabilitation pour le département des exceptionnelles plates-formes ferroviaires abandonnées telles que les gares de triage de Saint-Germain-des-Fossés et de Gannat.
  • Mise en œuvre progressive d’une taxation carbone efficace et contributive (destinée à financer le report vers le rail et le fluvial notamment) à mesure de la mise en place d’une offre alternative à la route.
***
Conclusion : la prise en compte de l’ensemble des dettes qui grèvent le fonctionnement de notre système ferroviaire comme de notre mode de développement implique de reconsidérer la pertinence des grandes infrastructures de type LGV dans le cadre
  • d’une remise à plat du l’ensemble du secteur ferroviaire français
  • de la formulation d’une politique globale de transport dont les décisions ne relèvent plus d’un secteur seul (le ferroviaire par exemple) mais de l’ensemble complexe de tous les secteurs interconnectés : l’intermodalité est aujourd’hui perçue comme un attribut secondaire de chaque moyen de transport ; elle devrait être le principe de conception du système de transport.
  • de l’évaluation de toutes les politiques publiques à l’aune de leur empreinte sur l’avenir, que celle-ci soit financière, environnementale, biologique ou foncière…

Il ne s’agit pas de produire une insurmontable série de difficultés mais de dégager plutôt une série de pistes d’adaptation possibles pour les projets mal et hâtivement conçus.

 

 

 

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