E=mc2 , ô ciel ma croissance !

Albert Einstein nous apprend qu’un corps ne peut atteindre la vitesse de la lumière [c], sans quoi sa masse [m] deviendrait infinie et par là son énergie [E]. Alors que nous entrons dans l’ère des ressources finies sur notre planète, sans doute faut-il interroger les conséquences proprement économiques d’une telle réflexion : une société développée peut-elle sans cesse accroître sa croissance sans se poser la question de l’énergie ?

E= mc2 . La formule est célèbre ; elle n’est qu’une variante de la formule permettant de calculer l’énergie cinétique : E = ½ mv2 (m étant la masse et v la vitesse, quand c est la célérité, la vitesse de la lumière).

Et que nous apprend-elle cette formule ? Que l’énergie cinétique est proportionnelle au carré de la vitesse : pour un corps pesant m et allant à 10km/h, elle vaut 1/ 2 m x 100, soit 50 m. Si ce corps passe à 20km/h, alors son énergie cinétique passe, non pas à 100m, mais à 1/2m x 400, soit 200 m.

Le principe de conservation de l’énergie nous apprend par ailleurs que l’énergie thermique nécessaire au déplacement d’un véhicule, par exemple, devient énergie cinétique et répond aux mêmes règles de consommation. S’il fallait, par exemple, 12kW pour une vitesse de 10km/h, il en faudrait, pour une vitesse de 20km/h, non pas 24, mais 144 !!

 

Un coureur de fond fait l’expérience cruelle de cette règle physique fondamentale : il lui est bien plus facile de passer d’un marathon couru en 4h à un marathon effectué en 3h30 que de passer de 3h30 à 3h00, pour la simple raison qu’ajouter de la vitesse à de la vitesse coûte toujours bien plus d’énergie pour un gain de vitesse équivalent. Une accélération continue induit ainsi une dépense énergétique de plus en plus importante et rapidement infinie (la fonction 1/2mv2 est une parabole dont la croissance devient verticale).

 

Or, raison de ce bref discours, il en va de même en économie.

Même si la science économique n’a jamais fonctionné que sur les paradigmes de la seule physique mécaniste (action – réaction de forces contraires et atteinte d’un équilibre), la crise écologique et la finitude de nos ressources la confrontent aujourd’hui aux principes de la thermodynamique, de l’énergie et de l’évolution des organisations [ce qui signifie la réhabilitation d’économistes académiquement ignorés comme Nicholas Georgescu-Roegen].

Pas d’optimum de croissance

Une économie ne peut tout simplement pas croître infiniment. Au-delà d’un certain niveau de développement, c’est-à-dire de mode de vie et donc de consommation énergétique, elle ne peut plus croître à la même vitesse, faute d’énergie suffisante. Et sa croissance se réduit avant de s’annuler.

C’est la réalité à laquelle les sociétés occidentales ont été confrontées dans les années 1970 : la croissance effrénée des 30 Glorieuses débouchait sur un palier de croissance.

Il aurait alors fallu débusquer une source d’énergie infinie [ la source d’énergie infinie, la France a cru la trouver dans la filière électro-nucléaire : c’est du moins là que se tient une partie importante de la mythologie nationale attachée à cette source d’énergie en France.] pour renouer avec les impressionnants taux de croissance (5%) des années 60 : or s’il est facile de croître à 5% par an quand un pays a été rasé, appauvri et doit se reconstruire, la chose devient infiniment plus difficile lorsque chaque foyer dispose d’une maison, d’une voiture, de l’accès à l’électricité, d’une télévision, d’une machine à laver… Le point de croissance supplémentaire nécessite une dépense d’énergie proportionnelle au carré du niveau de « développement » atteint. Aujourd’hui, même en tenant compte des gains de productivité, on estime qu’une croissance de 3% par an entraînerait un doublement de la quantité d’énergie consommée en trente années !!!

Depuis 40 ans, les sociétés développées sont donc en quête d’une croissance quasi impossible. Et pour reprendre la parabole du coureur, nos économies courent le marathon en près de deux heures. Il leur faudrait continuer à gagner des minutes régulièrement, quand les Chinois, qui le courent déjà en 3h, en gagnent 10 toutes les semaines.

Mais la dépense d’énergie exigée est démesurée, d’autant plus démesurée que la vitesse croissante des Chinois ponctionne le stock d’énergie planétaire dans lequel nous puisons tous !!!

Trois réponses

De là, plusieurs solutions sont envisageables :

  • La croissance artificielle : on peut, comme on l’a fait depuis 40 ans, recourir à tout un arsenal, celui de la publicité, de l’obsolescence programmée des équipements (le gaspillage des ressources), ou celui de l’endettement, privé puis public. La crise énergétique conduit au développement de l’industrie financière… aux subprimes et à la crise de 2008.
  • La croissance élitiste : cela revient à faire le non-choix de la croissance, à l’instar des conservateurs prônant le travailler plus, le produire plus et férus d’énergie prétendument infinie. Si la croissance est instituée comme vertu cardinale, il est possible de maintenir un semblant de croissance élevée : il suffit pour cela de réduire la quantité d’énergie nécessaire à cette croissance. Comment ? En diminuant drastiquement le nombre des bénéficiaires de cette croissance ; ce qui signifie sacrifier le niveau de vie de millions de personnes au nom de la croissance et pour le bien-être de quelques-uns.

Cela s’appelle plans sociaux, plans structurels ou politiques d’austérité, que les tenants de l’orthodoxie ultralibérale pensent comme les conditions d’un retour à la croissance. En quoi ils n’ont pas forcément tort, même s’ils mentent par omission : le retour à la croissance ne concernera qu’une partie de plus en plus réduite de la population !

Cet acharnement des conservatismes est une perspective doublement vaine :

– socialement, parce qu’elle conduit à creuser de manière insupportable des inégalités sociales, exclusivement tenables par une dépense accrue de moyens répressifs (dont le rendement énergétique est globalement faible)

– physiquement : il s’agit d’opposer une soustraction (retrancher la dépense énergétique de x individus) à une mise à l’exposant 2 de la dépense énergétique. A terme l’opération n’est pas viable.

Plus que vaine, c’est une obstination funeste et dangereuse.

 

  • Le ‘Green Deal’ : dernière solution, faire le choix d’une décroissance de notre consommation énergétique et réduire drastiquement l’empreinte écologique de nos sociétés et modes de développement. Malgré tous les procès d’intention qu’on leur fait, telle est la voie portée par les écologistes, celle d’une conversion énergétique et écologique, celle du triptyque sobriété, efficacité et énergies renouvelables.Réduire l’empreinte énergétique et écologique de notre mode de développement pour éviter, tant qu’il en est encore temps, le désossement méthodique de nos sociétés et de notre écosystème.Le ‘Green Deal’ proposé par les écologistes, voie de la troisième révolution industrielle, est à la fois riche en emplois, viable et sain pour la planète. Il offre sans doute la dernière sortie de l’autoroute avant le crash.Qu’on veuille bien nous pardonner également d’avoir en vain tenté de porter un tel discours dans une campagne qui fait du permis à point un débat crucial. Il nous reste sans doute à trouver les mots les plus simples pour expliciter cette urgence ; avant que la réalité ne se charge tout simplement de les subvertir.

     

    – eelvpaysdeVichy

 

 

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