Transition énergétique, dette et croissance

Tout est parfois aussi simple et bête que la réponse à une seule question : vous allez manquer d’essence sur l’autoroute et la prochaine station-service est encore loin. Question : accélérez-vous ou ralentissez-vous ?

Trois réponses possibles :

– Vous accélérez… On ne peut plus rien pour vous !

– Vous ne changez rien : en accélérant, je consommerai plus mais mettrai moins de temps. En ralentissant, je consommerai moins mais mettrai plus de temps. L’un dans l’autre, cela ne change rien, alors vogue la galère !

– Vous ralentissez : vous savez que l’essence consommée n’est pas proportionnelle à la vitesse, mais au carré de celle-ci. Le choix n’est donc pas indifférent.

 

Le choix auquel est confrontée notre bonne vieille société industrielle est analogue à celui de cet automobiliste : notre société est lancée sur l’autoroute de la croissance. Elle filait à 160 dans les années 60, elle atteint difficilement les 60-70 aujourd’hui avec une carcasse alourdie. Plus grave encore, elle sait que le stock d’énergie est limité, en gros qu’elle roule en réserve.

Nos éminents pilotes ont donc le choix :

– Accélérer ou croître pour échouer en rase campagne. On ne peut plus rien pour eux, malheureusement !

– Ne rien faire et parler sécurité et/ou immigration, suivez mon doigt. 

– Ralentir pour faciliter la transition : mais comme il est indigne, voire impensable, de rouler à 30 sur autoroute, le triomphe revient aux deux premières solutions.

Passons sur la version sécuritaire, l’authentique option facilité.

Quant à l’opération croissance, elle relève de l’acharnement thérapeutique sur un moteur de voiture usée. Explications.

 

L’activité économique est un ensemble de flux (déplacements, destruction, création, transformation) nécessitant de l’énergie.

Il en résulte l’équation suivante :

Production par habitant = (Quantité d’énergie / habitants) x (Production/ Quantité d’énergie) [Efficacité énergétique]

 et donc que

 

Croissance de la Production par habitant = Croissance de (Quantité d’énergie / habitant) + Croissance de (Production/Quantité d’énergie)

 A partir de là :

  1. Le poste Croissance de (Quantité d’énergie / Habitant) est limité de fait par la quantité finie des ressources fossiles, comme par l’émergence de nouveaux acteurs gourmands en énergie : la Chine par exemple.

L’impressionnante croissance chinoise de ces dernières années repose d’ailleurs essentiellement sur cette croissance de la Quantité d’énergie / habitant. En passant du village à la métropole, le paysan chinois accroît naturellement la quantité d’énergie à laquelle il a accès et dont le pays a besoin.

Par ailleurs, on note au niveau mondial une stagnation de ce ratio depuis le début des années 1980.

 

2. Le poste Croissance de (Production/ Quantité d’énergie) peut s’interpréter en deux sens :

  • Produire plus avec autant d’énergie, donc dégager des marges, donc investir et finalement consommer plus d’énergie et de matières premières (elles aussi contraintes quant aux quantités) : dans cette direction, l’efficacité énergétique se heurte à la limite des stocks disponibles. Sa croissance touche à un plafond : additionnée à une croissance stable voire négative de la quantité d’énergie disponible / habitant, elle n’aboutit qu’à une croissance économique (croissance de la production/habitant) faible voire nulle.
  • Produire autant avec moins d’énergie : c’est donc l’efficacité énergétique par et pour la sobriété. Si la croissance de l’efficacité énergétique peut être positive, elle vient ici compenser la baisse des quantités disponibles / habitant, soit une croissance négative de la quantité d’énergie disponible. Là encore, les perspectives de croissance économique sont faibles voire nulles.

Il apparaît alors que la notion de stock fini d’énergie contraint mécaniquement l’économie à un plafonnement puis une limitation sévère de sa croissance, économie immatérielle, tertiarisée, postmoderne ou non.

 

Le réservoir de la dette

Ainsi, comme le véhicule de nos sociétés ne dépassera plus les 50 ou 60 sur son autoroute de la croissance,

soit on parle encore plus fort d’insécurité et d’immigration,

soit on puise dans le réservoir de réserve. Or celui-ci contient une essence immatérielle et a priori infiniment disponible : l’avenir. L’avenir brut, raffiné par l’institution bancaire, nous donne la dette. Faute de croissance, on s’endette : financièrement et écologiquement. Plutôt que de brûler les ressources énergétiques dont ne dispose plus en quantité suffisante, on brûle celles des générations futures. 

Et plutôt que de ralentir quand la panne sèche menace, on accélère ; attitude tout bonnement suicidaire.

En consommant l’avenir, on consomme du temps dont on réduit également la quantité globale : on le fractionne en unités de plus en plus réduites, dans une accélération sans fin.

Faute de gains productifs, on traque les gains de temps.

Est-il dès lors étonnant que le principe porteur de tous les grands travaux soutenus par les pouvoirs publics dans un souci de relance par l’endettement soit celui du gain de temps ? Aéroports fantaisistes, LGV champêtres et tunnels dignes de Tolkien… Gain de temps souvent allègrement associé à un gain de compétitivité « territoriale ». Si la traduction financière de ces gains obéit à des modèles le plus souvent fantaisistes (combien d’euros rapporte une minute de moins entre Notre-Dame-des-Landes et Shanghaï ?), il est douteux que le gain de temps obtenu ait engendré une quelconque amélioration de l’efficacité énergétique globale du système économique.

Mais l’accélération laisse croire à l’automobiliste qu’il est un peu plus proche de la station-service ; et à l’homo politicus fondu au XIXè siècle, qu’il se rapproche un peu plus du centre du monde, entendez du cœur d’une croissance mondiale en souffrance…

Or échapper à cette croyance, c’est ralentir, atterrir et remettre les pieds sur terre.

 

– eelvpaysdevichy

 

 

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