LGV POCL, nos dettes, notre territoire (2)

La perte du triple A de la France nous le rappelle encore, la question de la dette s’est aujourd’hui installée au cœur des préoccupations publiques. Tant et si bien que l’évaluation de toute politique publique semble devoir s’opérer au trébuchet de son rapport à l’endettement. 

La cohérence voudrait donc que l’on s’efforce d’évaluer le projet de LGV POCL (Paris- Orléans – Clermont – Lyon) dans une perspective de limitation ou de réduction de nos dettes.

En quoi, le projet POCL contribue-t-il à limiter notre endettement, c’est-à-dire notre empreinte sur l’avenir ?

À quelques jours de la fin du débat public sur ce projet de LGV, EELV – Pays de Vichy lance une série de réflexions sur la question. Deuxième volet, la dette financière.

 

 Le projet de LGV POCL (Paris – Orléans – Clermont – Lyon) est-il un projet financièrement soutenable ?

Le projet POCL prend place dans la seconde vague des projets de déploiement de la grande vitesse envisagés dans le cadre du Grenelle de l’environnement. L’objectif étant ici de garantir l’accès de 75 % de la population française à la grande vitesse ferroviaire en moins d’une heure.

Aux 2 000 km de LGV existant aujourd’hui, le Grenelle de l’environnement prévoit d’ajouter 2 000 km supplémentaires à l’horizon 2 020, et 2 500 autres km au-delà (?), le projet POCL prenant place dans cet « au-delà ».

En ne tenant compte que de la seule réalisation des quatre projets LGV en cours ou en voie de réalisation (Tours-Bordeaux, Le Mans-Rennes, Nîmes-Montpellier et Beaudrecourt-Strasbourg), on estime que l’endettement 2010 de RFF (27, 4 milliards d’euros) plus celui de la SNCF (5,1 milliards) passerait de 32,5 milliards à 60,8 milliards en 2025 !!!

Avec une mise en service annoncée pour 2025 dans l’étude de RFF (Réseau Ferré de France), le maître d’oeuvre, la LGV POCL engendrerait un coût dont la fourchette minimum (celle fournie par le même maître d’oeuvre) serait comprise entre 12 et 14,4 milliards d’euros, soit à peu près l’équivalent du coût engendré par les quatre projets en cours cités plus haut (15 milliards) dans lesquels l’État et les collectivités locales se sont engagés à hauteur de 8 milliards.

Quant à la quinzaine de projets à réaliser dans le calendrier du Grenelle de l’environnement, ils induiraient environ 100 milliards d’euros d’investissements supplémentaires !!

 

Couplé à un endettement structurel de 60, 8 milliards d’euros à l’horizon 2025, le montant de ces investissements supplémentaires laisse augurer d’un endettement proprement insoutenable pour les acteurs ferroviaires ; le risque étant qu’au-delà d’une certaine limite, cet endettement ne soit plus celui de RFF mais directement celui d’un État français dont les capacités d’endettement sur les marchés sont d’ores et déjà rendues plus délicates. De quoi compromettre bon nombre d’arbitrages.

 

Outre leur montant, c’est la nature de ces investissements qui pose également problème, en cela que loin de résoudre la question du déficit structurel de l’activité ferroviaire en France (à l’origine de sa dette cumulée), elle contribue à l’accroître. L’accroissement des déséquilibres financiers du système ferroviaire français révèle les impasses d’un modèle dont le développement irraisonné de la grande vitesse depuis trois décennies n’est pas la moindre.

Le secteur ferroviaire français est aujourd’hui confronté à cinq difficultés majeures :

  • l’essoufflement du modèle économique du TGV, marqué par un ralentissement de la croissance des trafics (alors que POCL est conçu comme un itinéraire censé désaturer l’actuelle LGV Paris-Lyon) dû pour une part à la conjoncture économique récessive, mais aussi et en bonne partie, à la forte élasticité de la demande de grande vitesse par rapport au prix : plus le prix est à la hausse, plus la demande baisse. Or, l’endettement actuel de RFF implique une hausse des péages facturés à la SNCF qui les répercute sur le prix des billets. Avec une dette cumulée de plus de 60 milliards d’euros en 2025, libre à nous d’imaginer le montant des péages, donc des tarifs pratiqués à cet horizon, comme d’évaluer la pertinence des prévisions de (gains de) trafic calculées aujourd’hui par RFF pour vanter les mérites de POCL !
  • La vétusté du réseau qui résulte de la chute de l’effort de renouvellement à partir des années 1980, liée quant à elle, à la création et au développement du réseau à grande vitesse. Le volume de rénovation des lignes – 1000 km en moyenne – a été divisé par deux pendant près de 20 ans. Aujourd’hui pour seulement maintenir l’âge du réseau, il faudrait porter l’effort de renouvellement à près de 1200 km de lignes… quand on n’en réalise à peine 700 !!!
  • Le déclin du fret ferroviaire dans laquelle la vétusté du réseau et des sillons de fret joue un rôle prépondérant.
  • Le succès du transport ferroviaire régional qui, depuis 2002, date à laquelle les régions sont devenues autorités organisatrices de transport, le trafic a cru en moyenne de 40%. La question est donc posée d’une politique régionale qui connaît un succès mais induit également, à terme, des coûts importants pour les collectivités locales. Dans quelle mesure pourront-elles soutenir la charge de cette politique régionale, contribuer, à terme, à l’entretien et à la rénovation du réseau régional, tout en contribuant au financement de projets LGV qui empêcheront RFF de se pencher sur la question de la vétusté ?La rentabilité problématique des lignes LGV prévues par le Grenelle de l’environnement risque d’être inversement proportionnelle à l’ampleur de l’effort demandé aux collectivités publiques, locales notamment.Exemple : en vertu de l’article 4 de son statut, RFF ne peut s’engager dans le financement d’un projet qu’à hauteur des recettes escomptées, et ce, pour conserver un caractère soutenable à un endettement déjà presque insoutenable. Ainsi sur le projet de tracé Ouest-Sud de la ligne POCL, dont le coût total est aujourd’hui évalué à près de 14 milliards, la marge d’autofinancement est évaluée par RFF à 1,8 milliards, le reste des 12, 2 milliards devant être abondés par l’État et les collectivités locales impliquées (régions, départements et communautés d’agglomération, le plus souvent).Les marges de manœuvre de l’État étant ce qu’elles sont en période de récession et de défiance des marchés, de quel montant devraient alors s’acquitter les collectivités locales pour voir débarquer le TGV chez elles ?L’hypothèse est également envisageable qu’en raison de son endettement excessif, RFF se retire de toute participation à l’investissement, celui n’incombant plus dès lors qu’aux seules collectivités publiques.

    Ou bien, dernière possibilité, il est envisageable que, cherchant à boucler le budget d’investissement, les collectivités publiques en viennent à conclure un partenariat public privé (PPP) en faisant appel à un acteur privé, en échange d’un loyer à percevoir ou d’un contrat d’exploitation. Dans ce dernier cas de figure, il est à craindre que ne pèsent lourd les seules contraintes de rentabilité sur le choix des dessertes…

     

  • Enfin, dernier problème du secteur du rail français, celui de l’hypothèque que fait peser sur l’ensemble de ces défis, le maintien d’une politique massive de diffusion de la grande vitesse en France. Sans moratoire de ces investissements, le système du rail français court à l’implosion.

 

À l’énoncé de cette problématique d’ensemble, il est deux réponses apportées :

  • la réponse hallucinée consistant à se prosterner devant la « modernité, l’efficience et la compétitivité » de la grande vitesse pour le développement d’un territoire et celui d’un réseau de transport : en gros, les bénéfices mirobolants attendus de l’arrivée du TGV permettrait, par péréquation, de régler les déficits structurels, la vétusté des réseaux, le déclin du fret ferroviaire ainsi que celui de nos territoires oubliés des grandes métropoles !

Or, dans toutes ses études et dans sa grande sagesse, RFF prend soin de ne jamais s’engager sur quelque prévision de croissance induite que ce soit… quand tout le monde se targue déjà d’améliorer la « compétitivité du territoire »… à grands coups de nouveaux équipements nécessaires à la diffusion et à la maximisation de l’effet grande vitesse sur l’ensemble du territoire : routes, autoroutes, gares, ensembles immobiliers, zones d’activité qui viendraient encore compléter la panoplie LGV… Et ainsi d’accélérer toujours plus l’accroissement du poids d’autres dettes : financière, carbone et foncière…

Par ailleurs, les appréciations divergentes de la rentabilité à terme des LGV entre RFF et la SNCF laissent à penser que le miracle n’est pas aussi certain qu’attendu. Et que le mur de la dette pourrait précéder le mur du son !

 

  • La seconde réponse, quant à elle, repose sur une remise à plat d’un modèle de développement du secteur ferroviaire en France, vieux de trente ans, partant moins des ressources et des possibilités techniques que des besoins réels des populations : déplacements de proximité (98% des déplacements), désengorgement des routes et communications fiables et rapides entre métropoles. C’est d’ailleurs à ce prix-là que l’on peut se garder d’un endettement excessif.
A suivre…

 

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